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Il est approximativement 8h, ce lundi 14 Mars 1825, quand le jeune instituteur d'Aigre, M. Casimir Besnard entend frapper à sa porte. Bien que sa servante, Marie Charpentier, qui vit chez lui, soit déjà en train de s'atteler au ménage, il va lui même ouvrir. Il faut dire qu'à 80 ans, la pauvre femme ne possède plus l'ouïe de sa jeunesse.

 

L'instituteur se retrouve face à un jeune homme au visage ovale, chatain, les yeux bleus. Une "fistule" à l'angle de l'oeil droit le rend particulièrement reconnaissable. Il s'agit de François Magne, le fils du maréchal ferrant.

 

Cette visite ne surprend guère l'instituteur. Effectivement, celui-ci a déjà reçu celle de Mme Magne, trois jours auparavant. À 23 ans, François - qui travaille avec son père en tant que garçon maréchal - ne sait pas compter, pas plus qu'il ne sait lire et écrire. Elle est donc venue demander à M. Besnard s'il accepterait de donner des leçons particulières à son fils, puisque ce dernier préfère ne pas se retrouver en compagnie des autres élèves. Expliquant que ses occupations ne lui permettent pas de prendre un élève en dehors des heures de classe, l'instituteur a décliné l'offre de Mme Magne.

 

Casimir Besnard invite son visiteur à entrer. Celui-ci demande s'il y a bien classe le jour même, ce que lui confirme l'instituteur. Ensuite on aborde la question financière : pour Magne, comme pour tout élève, il en coûtera 3 francs par mois ( ce qui représente 1,5 à 2 fois le salaire journalier d'un ouvrier ). Le jeune garçon maréchal se dirige alors vers la porte restée ouverte. Besnard, croyant que son visiteur a acquiescé aux conditions, lui demande:

 

- Quand commencerez vous à suivre les cours?

- Dès tout à l'heure! lui répond François Magne.

 

Puis dans un même élan, Magne sort un couteau de sa poche et vient frapper l'instituteur sous le sein droit, avant de prendre rapidement la fuite. Bien que sérieusement touché, Casimir Besnard s'écrie «Ce drôle m'assassine!» avant de s'élancer à la poursuite de son agresseur. Parvenu sur le seuil de sa porte, il lance un dernier «À l'assassin». Ce cri stoppe la course de François Magne qui se retourne pour regarder sa victime avant de reprendre sa fuite. L'instituteur, malgré ses 30 ans et la force de son âge, ne peut continuer sa poursuite. Du sang s'écoule en abondance de sa poitrine et de sa bouche. À sa servante et au jeune Jean Lhérideau présent sur les lieux, il annonce, fataliste : «Je suis perdu».

Les cris de l'instituteur ont attiré des passants. Marie ordonne que l'on aille chercher M. Giraud, le chirurgien de Villejésus, le village voisin. Mais personne ne prend le risque de stopper François Magne, qui n'en restera pas là dans son coup de folie.

 

Le garçon maréchal semble pourtant retourner chez ses parents, rue du pont Raymond. C'est d'ailleurs non loin de son domicile qu'il croise Jean-François André, le notaire royal. Cet homme de 53 ans n'a pas remarqué que Magne s'approche de lui. Mais il se sent frappé d'un coup à la poitrine. Il croit, dans un premier temps, qu'il ne s'agit que d'un coup de poing. Mais lorsqu'il voit François Magne s'enfuir vers les halles et du sang s'écouler de l'endroit où il a été touché, le notaire comprend qu'il vient d'être blessé - légèrement - par un couteau. Il s'élance à la suite de son agresseur en criant qu'on arrête le fuyard. L'alerte est donnée. Pierre Faure, un rude gaillard qui travaille pour les Gautier, une importante famille de producteurs et négociants en cognac, se joint à lui. François Magne n'a d'autre solution que de s'échapper par la première issue qui s'offre à lui. Il pénètre dans la maison Salmon et finit par trouver une autre porte qui lui permet de fuir à nouveau en passant par les jardins.

 

Ayant semé ses poursuivants, le garçon maréchal réapparaît un peu plus loin, et prend la direction de la maison du sieur Boutelant, avocat et suppléant du Juge de Paix du canton d'Aigre. Deux hommes qui bavardent à quelques pas de là, le voient pénétrer dans la cour d'un pas calme. N'étant pas alertés des récents événements, ils ne lui prêtent pas plus d'attention que cela.

 

Magne, à présent dans la cour, aperçoit une jeune domestique, Louise Michelet, debout devant une fenêtre. Elle tente de contenir un saignement de nez. Le jeune homme s'approche d'elle et lui demande si la dame Boutelant est présente. La domestique lui confirme et Magne entre donc dans la maison pour rejoindre la maîtresse des lieux.

 

Celle ci, dont la première grossesse est bientôt à terme, est assise sur une chaise basse. Elle cherche un peu de chaleur devant la cheminée. En voyant cet individu au col de chemise et à la main gauche ensanglantés, elle s'imagine que cet homme vient de se battre et qu'il désire demander de l'aide ou se plaindre à son mari.

 

L'étrange visiteur approche de la cheminée. Elle le salue mais il ne lui répond que par un "Où est votre mari ?". Emma Boutelant explique que ce dernier est absent. Mais François Magne insiste, précise "qu'il a besoin de lui pour un petit moment". La brave femme ne peut que lui répéter que son mari n'est pas là.

 

Une nouvelle fois, le jeune Magne sort son couteau et frappe la future maman et s'exclamant :

 

- Voilà pour toi en attendant ton mari !

 

Le coup est porté à la joue gauche. La lame transperce la chair. Madame Boutelant, déséquilibrée, se retrouve au sol. Tout comme le notaire quelques minutes auparavant, elle pense n'avoir reçu qu'un coup de poing. Elle se relève et pousse un cri d'horreur en constatant que du sang s'écoule de sa joue. Bien que blessée, elle part à la poursuite de son agresseur, suivie de sa servante. Les cris sont si forts qu'ils alertent les passants. Magne, dans sa fuite, chute à deux reprises mais parvient à rejoindre la cour de la maison voisine, sans être stoppé. Se sachant poursuivi, il décide alors de retourner l'arme contre lui même. Mais les deux coups qu'il se porte à la gorge ne sont que superficiels et il prend donc le chemin du domicile et de la forge familiale, située rue du pont Raymond. C'est d'ailleurs à cet endroit que les gendarmes viennent l'arrêter un peu plus tard dans cette matinée du 14 Mars 1825.

 

Conduit à la prison d'Aigre, où il est sommairement interrogé, il n'apporte aucune explication pour justifier son geste. Après quelques soins prodigués par un médecin, il est emmené à la prison de Ruffec, d'où sera instruite l'affaire.

 

Durant les semaines qui suivent parents, témoins et victimes ( aucun des trois blessés ne succombe ) sont interrogés. François Magne, même s'il apparaît d'un tempérament sombre et mélancolique depuis quelque temps, n'a jamais fait preuve de signe "d'aliénation mentale", pas plus qu'il ne passe pour quelqu'un de méchant aux yeux des personnes interrogées. Mais alors, pourquoi cette poussée de violence ? Pourquoi ces personnes, des notables, précisément ? Et surtout, question essentielle aux yeux de la loi, l'acte de Magne était-il prémédité ?

 

Interrogé le 29 Mars par le juge d'instruction François Coudert, le jeune homme raconte sa version des faits :

 

"Je me rappelle bien d'avoir porté des coups de couteau à ces différentes personnes, mais j'ignore si je leur ai fait beaucoup de mal. (...) Je n'avais aucun motif pour les frapper. J'ai d'abord été chez M. Besnard, je suis entré chez lui, il est venu à moi, je l'ai questionné, j'ai ouvert mon couteau, je lui en ai donné un coup. Voilà comment cela est arrivé. (...) En fuyant j'ai rencontré M. André auquel j'ai porté aussi un coup de couteau."

 

Lorsque le juge Coudert lui demande s'il n'est pas allé chez Mme Boutelant, et quel motif il a eu de lui porter un coup de couteau, il répond tout aussi laconiquement :

 

"J'ai, en effet, été chez la dame Boutelant et je ne sais ce qu'il m'a porté à cela."

 

Des remords ?

 

"Certainement, cela m'a fait de la peine d'avoir ainsi blessé trois personnes, mais cela ne m'en fait plus parce que je ne m'en souviens plus."

 

Avait-il prémédité son acte ?

 

"Je ne sais pas, je ne m'en rappelle pas."

 

Avait-il connu quelque motif de haine envers M. Besnard, l'instituteur ?

 

"Pas plus que les autres, comme les autres."

 

Avait-il prévu de frapper d'autres personnes ?

 

"Je ne sais pas, j'étais bien mal quand la gendarmerie m'a arrêté. Je m'étais donné moi même un coup à la gorge d'un couteau que je crois être le même que celui dont j'ai frappé les autres personnes."

 

De nouveau le juge d'instruction l'interroge sur ses remords.

 

"Monsieur, j'y pense quelquefois et vous devez penser que cela me chagrine, cela ne peut pas faire autrement."

 

Difficile donc de connaitre les raisons qui ont poussé François Magne a commettre de tels actes. N'oublions pas qu'à cette époque, aucune expertise psychiatrique ne vient éclairer la personnalité des prévenus.

 

C'est donc sans réponses précises que se tient, le 4 Mai 1825 - soit un mois et demi aprés les faits -, le procés devant la Cour d'Assise d'Angoulême.

 

La veille, M. Boutelant a adressé un courrier au Procureur du Roi dans laquelle il excuse sa femme de ne pas pouvoir être présente à l'audience. Celle-ci n'ayant pas la force de faire le trajet, affaiblie par l'agression dont elle a souffert, et surtout en raison de la naissance de leur enfant mi-avril. M. Boutelant, dont je rappelle qu'il est avocat et suppléant du juge de paix, profite de cette lettre pour réclamer la plus grande sévérité dans le verdict.

 

Pour le jury, uniquement composé d'hommes, la tâche est de décider si Magne est coupable de tentative d'assassinat sur ses trois victimes, et si ses actes étaient prémédités. Pour cela, une vingtaine de témoins défilent à la barre tout au long de l'aprés midi. Suivent ensuitent le réquisitoire du Procureur Royal et la plaidoirie de Me Thibaud, l'avocat du garçon maréchal. Puis, à la fin des débats, le soir venu, les 12 jurés se retirent pour délibérer.

 

Le 5 Mai, le verdict est rendu. Le jury reconnaît François Magne coupable de tentative d'assassinat sur les personnes de Casimir Besnard, Jean-François André et Emma Boutelant. Mais aux yeux des jurés, il n'est reconnu aucune prémiditation. En conséquence, Magne sauve sa tête mais il est condamné aux travaux forcés à perpétuité, à la marque et au carcan.

 

Dans les jours qui suivent Me Thibaud et son client se pourvoient en cassation, mais la sentence est confirmée le 10 Juin suivant.

 

Le 3 Août 1825, François Magne est conduit sur la place du marché d'Angoulême, où, une heure durant, il est entravé et exposé devant la foule. Puis à la fin de cette heure d'exposition, il est marqué au fer rouge, à l'épaule droite, des lettres TP.

 

Un an plus tard, il sera conduit avec la chiourme, au bagne de Rochefort, où il entre 6 Août 1826. À cet moment précis, il devient le matricule 10892.

 

La dernière trace que laisse François Magne, simple garçon maréchal à Aigre devenu bagnard, est son passage à l'hôpital maritime de Rochefort, où il s'éteint le 10 Janvier 1839.

 

 

 

Sources: Archives Départementales 16 / série et cote : 2UPROV1000

Service Historique de la Défense de Rochefort

Pour en savoir plus sur le bage de Rochefort : http://criminocorpus.hypotheses.org/7323/comment-page-1?lang=de_DE

Bagne de Rochefort

Bagne de Rochefort

Tag(s) : #fait divers, #Aigre, #Charente
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